FIGAROVOX/ENTRETIEN - Christophe Castaner a déclaré qu'il ne fallait plus parler d'État islamique parce que les « djihadistes » n'avaient rien à voir avec l'islam. Pour Pascal Bruckner, il s'agit pourtant d'un des visages, pas le principal et fort heureusement pas le seul, de la religion musulmane.
Pascal Bruckner est philosophe, essayiste et romancier. Il a dernièrement publié La Sagesse de l'argent (éd. Grasset, 2016) et Un racisme imaginaire (éd. Grasset, 2017).
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/06/05/31003-20170605ARTFIG00156-pascal-bruckner-desole-m-castaner-daech-appartient-bien-helas-a-la-sphere-musulmane.php
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FIGAROVOX. - «Cessons de parler d'État Islamique, ils trahissent la religion qu'ils prétendent servir. Ce sont juste des assassins» a déclaré, sur Europe 1, Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement. Faut-il cesser de parler d'État islamique?
Pascal BRUCKNER. - Une remarque préliminaire: on assiste, en France, à une impressionnante multiplication de théologiens et de spécialistes en islam. Nos politiques sont tellement informés qu'ils savent mieux que les musulmans ce qu'est l'islam lui-même! Plus sérieusement, ce n'est pas la première fois que l'on hésite à qualifier cette organisation terroriste par autre chose que par un acronyme. Laurent Fabius quand il était au quai d'Orsay avait affirmé une préférence pour Daech plutôt que pour État Islamique. Barack Obama n‘a jamais parlé de terrorisme islamiste et François Hollande non plus, sauf dans les confidences faîtes à Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans le livre Un président ne devrait pas dire ça . La pudeur linguistique n'est donc pas le seul fait de M. Castaner. Cette déclaration fait songer à celle d'Erdogan lorsqu'il était il y a quelques mois en Allemagne. Madame Merkel avait affirmé combattre le «terrorisme islamiste» et le président Turc avait rétorqué que l'islam était une «religion de paix». Angela Merkel avait répondu, imperturbable: «nous combattons le terrorisme islamiste.»
Que signifie cette bataille sémantique?
Elle est essentielle. Camus l'a dit et nous le répétons sans cesse «Mal nommer les choses c'est ajouter aux malheurs du monde». Dire que ce terrorisme n'est lié a aucune religion c'est tout simplement faux. Le calife et ses soutiens se revendiquent de l'islam. C'est un des visages, fort heureusement pas le seul et pas le principal, mais c'est un des visages de l'islam. En outre, si toutes les religions comptent dans leurs rangs des criminels et des assassins, la systématisation de la terreur n'appartient aujourd'hui qu'à la sphère islamique. Le nier c'est se priver du moyen de désigner ceux qui veulent nous tuer et qui le font comme à Londres «au nom d'Allah». Personne aujourd'hui ne tue au nom de Jésus, Vishnou ou Moïse.
Rachid Kassim, l'un des organisateurs des attentats en France l'avait déclaré avant d'être tué par un drone américain: ses motivations n'étaient ni sociales, ni idéologiques (colonisation) mais religieuses. On ne peut en rien exonérer l'islam des crimes qui sont commis en son nom. Ceux qui le font rejoignent le discours de Tariq Ramadan qui veut noyer la singularité d'une grande confession dans la masse des crimes mondiaux, dans la nuit de l'équivalence. Pourtant les islamologues comme Gilles Kepel ou Suleiman Mourad sont très clairs. Ce dernier, dans son essai La mosaïque de l'islam (Fayard, 2016), écrit: «Les penseurs sunnites qui ont soutenu que le Coran pouvait servir à la modernisation se sont empêtrés dans un bourbier conceptuel, ce qui explique la crise de la pensée islamique aujourd'hui. Le Coran, poursuit Suleiman Mourad, légitime nombre de choses embarrassantes pour les musulmans modernistes: l'esclavage, le djihad armé, le contrôle des femmes, la polygamie et des aberrations scientifiques…»
Critiquer l'islam, est-ce être «islamophobe»?
C'est l'esprit d'une motion que Trudeau a fait voter il y a quelques semaines au Canada et qui, en substance, empêche toute critique de l'islam. L'islam est en train d'acquérir un brevet de religion intouchable. La confession la plus gangrenée par la violence est repeinte en religion de tolérance et d'amour. On ne peut pas continuer à rester dans le conte de fées pour échapper à l'accusation de racisme et d'amalgame.
Adonis, Kamel Daoud, Boualem Sansal, Abdenour Bidart pourtant ne cessent de nous mettre en garde. Au fond, cette rhétorique est très anglo-saxonne. Pour les Américains et les Anglais, toute religion est bonne en soi. Mais l'islam n'a pas connu les lumières et la réforme interne. La vérité que nous sommes obligés de répéter sans cesse est la suivante: ces massacres n'ont pas de causes sociales, économiques, pathologiques mais bien théologiques. Garder les yeux grands fermés comme M. Castaner augure mal de la politique du gouvernement.
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Quand l’Arabie saoudite somme l’Afrique de lâcher le Qatar
Riyad tente de convaincre les Etats africains de rompre leurs relations diplomatiques avec Doha. Sept pays ont déjà cédé, explique le chercheur Benjamin Augé.
La violente crise diplomatique survenue le lundi 5 juin entre l’Arabie saoudite et le Qatar – ce dernier étant accusé de soutenir le terrorisme – a des répercussions jusqu’en Afrique. De fait, Riyad se démène pour obtenir le soutien du plus grand nombre d’Etats africains, sommés de prendre position.
Lire aussi : Le Qatar juge « sans fondement » la liste de « terroristes » publiée par l’Arabie saoudite
Sept pays du continent (Niger, Mauritanie, Sénégal, Tchad, Egypte, Comores et Maurice) ont déjà fait le choix de rappeler leur ambassadeur en poste à Doha. De son côté, Djibouti a préféré réduire le personnel de son ambassade pour ne pas insulter l’avenir, le Qatar faisant office de médiateur sur le différend frontalier qui oppose le pays à l’Erythrée.
Deux moyens de pression
Les présidents des Etats africains dans lesquels la population est à dominante musulmane – et où de nombreux lieux de prière sont construits et contrôlés par les intérêts saoudiens via des organismes de charité – subissent une forte pression depuis le déclenchement de la crise qui a conduit l’Arabie saoudite, mais aussi les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Yémen et l’Egypte, à couper les relations diplomatiques avec le Qatar et à organiser un blocus terrestre et aérien à son encontre.
L’Arabie saoudite a utilisé ses ambassadeurs dans les capitales africaines ou des émissaires spécialement envoyés depuis Riyad afin de convaincre les présidents de prendre l’unique décision qui s’impose à ses yeux : le rappel des ambassadeurs en poste à Doha et la rupture des relations diplomatiques. Pour ce faire, deux moyens de pression ont été utilisés par ses émissaires : l’arrêt potentiel d’une manne financière pourtant jusqu’alors très modeste – en dehors des projets financés par le Fonds arabe pour le développement économique et social (Fades) – et des menaces à peine voilées de complications dans l’obtention de visas pour le pèlerinage à La Mecque.
Ces deux arguments ont souvent payé dès les premières prises de contacts, notamment dans les Etats se trouvant dans une position difficile au niveau économique et politique. Certains pays ayant des rapports difficiles avec le Qatar, comme la Mauritanie, n’ont même pas eu besoin d’une quelconque pression pour prendre le parti de l’Arabie saoudite. La décision de rappel des ambassadeurs a souvent été prise par les seuls présidents africains, sans l’avis de leurs gouvernements ni des ministres des affaires étrangères.
Le Nigeria fait de la résistance
Pourtant, certains Etats africains où la population musulmane est importante n’ont pas souhaité prendre position dans ce conflit. Les pays du Maghreb – Maroc, Algérie, Tunisie –, mais aussi le Soudan et la Somalie, ont appelé au dialogue sans prendre parti, considérant qu’ils n’ont pas à choisir entre les deux principaux protagonistes, avec lesquels ils ont des liens diplomatiques et économiques forts.
Le cas le plus singulier reste le Nigeria, où le nombre de citoyens musulmans est probablement le plus élevé du continent africain, avec l’Egypte. L’ancien président nigérian Goodluck Jonathan a ouvert en 2013 une représentation diplomatique à Doha et les deux pays se côtoient depuis longtemps dans le cadre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et de son pendant gazier, le Gas Exporting Countries Forum, dont le siège est au Qatar.
Les relations sont également bonnes avec l’Arabie saoudite, où l’actuel président nigérian, Muhammadu Buhari, s’est rendu en février 2016, avant de passer par Doha. Cependant, M. Buhari, général nationaliste, accepte très difficilement la pression extérieure. Lors du sommet de Riyad où se sont réunis fin mai une cinquantaine d’Etats sunnites ainsi que le président américain Donald Trump, le Nigeria n’a envoyé que des ministres, alors que la plupart des pays étaient représentés par leur président ou leur premier ministre.
M. Buhari – tout comme son vice-président, Yemi Osinbajo, actuellement président par intérim – ne souhaite pas qu’on lui dicte ce qu’il doit faire dans son pays, pas plus qu’il ne veut être l’otage de quiconque sur le plan international. Il a, enfin, le devoir de ne pas exacerber les tensions religieuses dans la fédération qu’il dirige : une grande partie de la population est chrétienne et n’accepte pas que le Nigeria soit considéré comme un pays musulman.
Manque de diplomates
Si le Qatar n’a pas su éviter les ruptures avec certains pays africains, c’est en partie par manque de diplomates, sachant qu’une partie des ambassadeurs qataris sont depuis deux semaines à Doha pour le ramadan. En outre, les ministres ou émissaires spéciaux de l’émir Tamim Ben Hamad Al-Thani ont concentré leurs efforts sur les grandes puissances occidentales et arabes.
Ces dix dernières années, le Qatar a pourtant dégagé d’importants moyens pour que les pays africains, y compris les plus vulnérables économiquement, puissent ouvrir une ambassade à Doha, mettant gracieusement à leur disposition des locaux et des véhicules. L’émirat est conscient que sa générosité supposée saura faire revenir, à moyen terme, la plupart des Etats partis sous la menace saoudienne. Cette crise souligne cependant cruellement combien la puissance géopolitique du Qatar, en constante ascension depuis le milieu des années 1990, demeure sans comparaison avec son grand voisin… qui souhaite aujourd’hui le lui rappeler.
Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et Energie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
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